Stop à l’accord du Mercosur
Un accord commercial anachronique et néocolonial
Aujourd’hui et demain, les 17 et 18 juillet 2023, un nouveau cycle de négociations entre l’UE et les États de la CELAC réunira les chefs d’État et de gouvernement lors d’un sommet organisé à Bruxelles pour faire avancer, entre autres, la conclusion du traité de libre-échange avec les pays du Mercosur, l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay. Ce sommet est présenté comme une occasion historique de réunir les dirigeants européens, latino-américains et caribéens afin de renouveler et de renforcer les relations entre les deux régions après près d’une décennie d’absence de dialogue birégional au plus haut niveau politique. Le sommet se tiendra sous le thème « Renouveler le partenariat bi-régional pour renforcer la paix et le développement durable », ce qui est une façon sarcastique de caricaturer ou simplement de masquer les conséquences réelles de l’accord du Mercosur.
Les pays du Mercosur craignent – à juste titre – de n’être que des exportateurs de matières premières. Il y a aussi un litige sur un document additionnel concernant la protection des forêts et du climat. En Europe, l’accord est largement rejeté par les parlements autrichien, néerlandais, wallon et de la région de Bruxelles, ainsi que par le gouvernement français. Ils craignent des répercussions négatives sur le secteur agricole de leurs pays et une nouvelle intensification de la pression sur les agriculteurs. Le gouvernement luxembourgeois reste silencieux et ne veut pas se positionner – il n’a fait que geler son approbation de l’accord, sans opposer de veto définitif – ce qui est injustifiable pour un pays qui a ratifié l’OIT169 et qui est membre du Conseil des droits de l’homme des Nations unies.
Au cours des dernières décennies, le commerce des pesticides entre les pays d’Amérique du Sud et l’UE s’est transformé en un cycle mondial d’empoisonnement par les pesticides, qui serait encore aggravé par la ratification du projet d’accord du Mercosur. L’asymétrie croissante des relations commerciales entre l’UE, sous la forme d’exportations de produits industrialisés et de haute technologie, et les pays du Mercosur, le Brésil, le Paraquay, l’Uruquay et l’Argentine, qui exportent notamment des denrées alimentaires et des produits miniers, reproduit toujours le modèle mis en place par les puissances coloniales européennes il y a 500 ans. Afin de produire à grande échelle des matières premières pour les pays industrialisés, les pays du Mercosur ont investi dans l’extension des surfaces agricoles et dans les pesticides.
Prenons l’exemple du Brésil : rien qu’entre 2019 et 2022, 1.635 nouveaux pesticides ont été autorisés au Brésil. Un grand nombre des produits agrochimiques qui y sont autorisés sont interdits dans l’UE, mais sont vendus au Brésil ou dans le pays par des groupes agrochimiques européens comme Bayer, BASF et Syngenta (ChemChina). Larissa Bombardi, chercheuse brésilienne spécialisée dans les pesticides, qualifie cette démarche de « colonialisme chimique » qui a de graves conséquences sanitaires et économiques pour les populations locales : « Les populations des pays du Mercosur souffrent énormément d’une sorte de violence chimique, comme le montre le grand nombre de personnes déjà intoxiquées par des substances développées et vendues par les pays de l’Union européenne ».
Au cours des derniers mois, l’idée s’est cristallisée au niveau de l’UE, en raison de l’opposition publique à l’accord du Mercosur, de promouvoir ce que l’on appelle un « splitting » du traité de libre-échange prévu. Concrètement, la Commission européenne tente ainsi de diviser les accords déjà négociés avec des pays tiers, dans lesquels des questions politiques de coopération, des relations commerciales ou des règles d’investissement ont été convenues, en un volet politique et un volet commercial. Ce projet aurait pour conséquence que la partie commerciale controversée de l’accord Mercosur ne devrait plus être décidée à l’unanimité par le Conseil et que l’accord des parlements nationaux ne serait plus nécessaire – une érosion de la démocratie.
Quelle serait la conséquence directe de ce fractionnement pour le marché européen ? Alors que l’UE a adopté des dispositions visant à interdire et à réduire partiellement l’utilisation de pesticides, des centaines de nouvelles autorisations de pesticides brésiliens, mentionnées plus haut, reviendraient en toute légalité dans l’UE par le biais d’importations de légumes et de fruits si l’accord était signé. Cela reviendrait à priver les citoyens et les parlements de leurs droits et à leur infliger des blessures par négligence en raison de la contamination probable par les pesticides dans l’UE et dans les pays du Mercosur.
L’herbicide glyphosate, utilisé au Brésil notamment dans les monocultures de café et de canne à sucre et dont la quantité autorisée au Brésil est dix fois supérieure à celle des pays de l’Union européenne (1mg/kg), est un exemple très actuel : le Luxembourg a été le premier État membre de l’UE à interdire l’utilisation de produits phytosanitaires contenant du glyphosate depuis janvier 2021. La Cour administrative d’appel a toutefois annulé l’interdiction nationale du glyphosate dans le cadre d’une procédure d’appel par un jugement du 30 mars 2023. Selon la Cour administrative, tant que la substance active est autorisée par la Commission dans toute l’UE (15 décembre 2023), il n’y a pas de raison objective pour une réglementation nationale spéciale. De plus, selon les juges, il n’y a pas de « caractéristiques écologiques ou agricoles particulières » au Luxembourg qui justifieraient une interdiction nationale. Aucun risque inacceptable pour la santé humaine et animale ou pour l’environnement n’a été identifié. Cette évaluation est étayée par un rapport d’examen de quatre États membres qui contient des explosifs politiques : Selon un rapport des autorités de sécurité compétentes de France, des Pays-Bas, de Suède et de Hongrie, le glyphosate remplit toutes les conditions pour rester autorisé dans l’UE en tant que substance active pour les produits phytosanitaires à partir de 2024. Ce rapport, tout comme le jugement du tribunal administratif luxembourgeois, est démenti par les recherches de Bombardi sur le terrain.
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