Apprendre en jouant : la meilleure arme contre la violence
Hanan Al Hroub, enseignante palestinienne en Cisjordanie, était dernièrement au Luxembourg dans le cadre d’une conférence organisée par le CPJPO* à l’Athénée Luxembourg, en partenariat entre autres avec l’ASTM. Elle a présenté son approche d’enseignement basé sur les jeux éducatifs, une méthode ludique, centrée sur le principe de la non-violence. Rocio Albertos, notre responsable des projets en Asie et Moyen-Orient vient de revenir de mission en Palestine, où nous soutenons ALROWWAD, un centre culturel et de formation dans le camp de réfugiés d’Aïda. Il met la culture, le théâtre, la danse, la photographie et le sport au coeur de la non-violence. Regards croisés sur un monde où les enfants font face à des violences quotidiennes.
Non-violence et enseignement
Hanan Al Hroub a grandi dans un camp de réfugiés au sud de Bethléem « La violence quotidienne a volé mon enfance, nous étions privés du droit de jouer » explique-t-elle. « Pendant la seconde Intifada, dans les années 2000, mon mari a été blessé par les tirs de soldats israéliens sous les yeux de mes enfants, sur le chemin de retour de l’école. Ils étaient traumatisés. Je me suis sentie très seule pour les aider à surmonter ce choc. » Hanan a le visage fermé. Elle raconte que ses enfants sont tombés dans une dépression, et qu’ils ne voulaient plus retourner à l’école. » Je devais trouver une solution. C’est alors que j’ai commencé à jouer avec eux, j’ai pris ce que j’avais sous la main: lego, ballon… et peu à peu ils sont sortis de la dépression et ont eu envie de retourner à l’école. » Ce moment a été décisif pour Hanan. Elle s’est dit que le corps enseignant avait un rôle à jouer et décide de devenir enseignante.
Avec tant d’enfants traumatisés dans la région, les salles de classe palestiniennes deviennent parfois des environnements très tendus. » Les enfants ramènent toute la misère de la maison à l’école. Avec mon approche, je leur offre un espace sécurisé dans lequel ils peuvent s’exprimer et apprendre par le jeu. Jouer c’est apprendre le respect, découvrir la beauté de la vie et des relations humaines. Mon but c’est de développer des relations de confiance, de respect, de sincérité et d’affection avec mes élèves. Je souhaite les aider à gagner en assurance, en confiance, en faire des personnalités fortes. » Hanan encourage ses élèves à travailler ensemble, elle reste très attentive aux besoins individuels et récompense les comportements positifs. « Les jeux permettent aux élèves de se débarrasser de leurs tensions, de leurs pulsions de violence. “ Elle sourit. La méthode a fait son chemin. Hanan a inspiré ses collègues à revoir leur manière d’enseigner, de gérer les classes et les sanctions qu’ils appliquent. » Au début, c’était difficile. Le changement n’est jamais facile à faire accepter. J’ai donc du présenter des preuves ». En 2016, elle a été sacrée « meilleure enseignante du monde » (Global Teacher Price) par la Fondation Varkey. Ce prix est décerné à un professeur exceptionnel qui a apporté une contribution remarquable à la profession. Aujourd’hui elle partage son approche lors de conférence du ministère et de séminaires de formation des enseignants.
Non-violence et résistance
Rocio Albertos revient de mission en Palestine où elle a visité notre partenaire ALROWWAD qui a mis sur pied un centre culturel et une ludothèque pour jeunes et enfants. La mission de Rocio a coïncidé avec le début des manifestations à l’occasion de la « marche du retour » qui ont fait plus d’une douzaine de morts du côté palestinien à Gaza. Des rassemblements en protestation de ces violences avaient été organisés dans toutes les villes de Palestine. Les soldats palestiniens ont réagi avec des tirs de canettes de gaz lacrymogènes pour dissoudre les foules. Rocio a pu constater avec ses yeux les canettes vides dans le camp de réfugié d’Aïda. « La situation des jeunes et enfants dans le camp est difficile. Les incursions régulières de l’armée dans le camp et l’agressivité des soldats sont une source d’humiliation constante pour la population. L’exposition à cette violence entraîne des problèmes psychologiques et émotionnels parmi les enfants et leurs familles. Un des objectifs principaux de notre partenaire est d’offrir aux jeunes du camp un espace protégé dans lequel ils peuvent s’exprimer et développer leur créativité par des activités non-violentes (p.ex. le théâtre, la danse, la photographie ou le sport). Le Centre gère également une ludothèque mobile (playbus) destinée aux enfants et organise des festivals de cinéma en plein air. Tous ces éléments font partie du concept de «Belle Résistance» développé par Alrowwad. En mettant en avant la culture palestinienne comme moyen de résistance, il cherche à casser les stéréotypes associés au peuple palestinien, et renfocer ainsi la jeune génération. Pendant la mission, et à cause de la situation tendue, les écoles ont du fermer leurs portes. Rocio n’a pas pu accompagner ALROWWAD dans la réalisation de ses activités. « Malheureusement c’est la réalité palestinienne : des violences, des manifestations et comme réponse plus de violences et d’injustices m’ont expliqué les collaborateurs du centre. Cependant et malgré tout, le centre ALROWWAD reste toujours ouvert pour accueillir les enfants du camp », déclare Rocio Albertos, responsable des projets en Asie et au Moyen-Orient.
La méthodologie appliquée dans le projet qu’Action Solidarité Tiers Monde soutient avec ALROWWAD depuis 2011 a beaucoup de points communs avec la méthodologie qu’Hanan Al Hroub applique dans se cours : enseigner à travers l’utilisation des jeux. Depuis 2016, plus de 20 jeunes ont été formés dans la conception et création des jeux éducatifs et culture palestinienne. Ces jeunes ont comme mission principale d’agir comme des agents multiplicateurs pour apprendre aux professeurs et élèves qu’un autre type d’éducation est possible.
Voir aussi l’interview sur RTL Télé http://www.rtl.lu/letzebuerg/1169160.html