COP28 : un pas de plus vers le colonialisme-carbone ?
Du 30 novembre au 12 décembre se tient à Dubaï, aux Émirats arabes unis, la 28ème session de la Conférence des Parties (COP28).
Les COP se succèdent et les catastrophes naturelles liées aux changements climatiques s’enchainent. Le besoin de réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre (près de 50% d’ici 2030) se confirme chaque année et, au plus le temps passe, au plus il est nécessaire d’agir rapidement. À l’occasion de la COP28, l’ASTM s’est penché plus spécifiquement sur ce qui est présenté comme un élément de réponse au dérèglement climatique : la compensation-carbone. Une note, publiée aujourd’hui, développe notre positionnement sur la question.
La compensation-carbone est un mécanisme volontaire (à ne pas confondre avec l’échange des quotas-carbone dans le cadre des marchés réglementés) qui permet aux entreprises, aux particuliers et aux États de « neutraliser » leurs émissions de carbone par le financement de projets séquestrateurs de CO2 (ou, parfois aussi, des projets d’évitement d’émission). Le principe qui sous-tend la compensation est celui de la neutralité. On augmente d’un côté ; on diminue de l’autre. C’est la théorie.
Les projets séquestrateurs de CO2 (ou d’évitement d’émission) engendrent des droits d’émission, dont l’étendue est théoriquement fonction de la quantité séquestrée ou des émissions évitées ; ces droits sont vendus sur le marché dit volontaire des compensations-carbone.
Le marché volontaire de la compensation-carbone est en plein essor : entre 2020 et 2021, il a quadruplé et devrait représenter 50 milliards de dollars à l’horizon 2030. Start-Ups, investisseurs financiers, groupes industriels et ONG de conservation de la nature ont flairé les bonnes affaires et y voient une nouvelle source de profit. Les gouvernements des pays riches emboitent le pas. Les Émirats arabes unis se sont montrés fort actifs dans la perspective de « leur » COP. Désireuse d’apparaître comme un acteur responsable et crédible sur le plan climatique, la pétromonarchie du Golfe négocie tous azimuts des accords de transfert de droits à polluer, avec le Libéria, l’Angola, le Kenya, la Tanzanie, l’Uganda, la Zambie et le Zimbabwe. Au total, ce sont 24 millions d’hectares, la taille du Royaume-Uni, dont le « crédit-carbone » serait approprié par la pétromonarchie du Golfe en Afrique.
Pourquoi la compensation-carbone pose-t-elle problème ?
1. La compensation-carbone a pour effet de ralentir ou de reporter les mesures de réduction d’émission de GES. Plutôt que d’agir sur les émissions, on (entreprise, particulier, État) compense ou, on prétend le faire. Le plus souvent, le coût de la compensation est bien plus faible que la perte que représente l’abandon de l’activité polluante. Or, il est établi, dans tous les scénarios, que les émissions doivent baisser de manière absolue, rapidement et significativement.
2. La compensation-carbone vide le principe de responsabilité différenciée de sa substance. Elle apparaît comme une alternative aux différentes formes de financements publics des projets d’atténuation, dont la réalité est toujours très éloignée des annonces. Mais, à la différence des financements publics, la compensation comporte en soi le droit de polluer. (Exemples de la Norvège, de la Suisse et des Émirats arabes unis).
3. La compensation-carbone a pour effet de marchandiser la nature, qui, de ce fait, se transforme en « capital » dont la défense est subordonnée à sa capacité de produire du profit, les considérations sociales et écologiques disparaissant au second plan. La logique du profit financier qui anime désormais les projets de séquestration induit par essence les dérives et les abus, que la « réglementation » onusienne ne peut contenir. (Étude de SourceMaterial sur la pratique du certificateur Verra, publiée en janvier par The Guardian et Die Zeit). Au-delà des abus et dérives, dans de nombreux cas, la compensation-carbone ne comporte pas l’équivalence «émission supplémentaire – séquestration supplémentaire ».
4. La compensation-carbone est néocoloniale en ce qu’elle ne différence pas entre différents types d’émission. Toutes les émissions se valent, quels que soient les besoins qu’elles sont censées satisfaire. Les pays riches, les entreprises et les particuliers du Nord global accaparent, pour satisfaire les besoins liés à leur mode de vie impérial générateur de GES excessifs, des crédits-carbone dont sont dès lors privées les populations locales, qui, elles, mènent des vies en « teneur carbone » très faible. Ainsi, exemple courant, une pollution liée à une activité « de subsistance » dans le Sud global peut être, par le mécanisme de la compensation, interdite dans le but d’autoriser une pollution engendrée par une activité ou une consommation « de confort » dans le Nord global.
5. La compensation-carbone est néocoloniale en ce qu’elle aboutit à imposer aux populations locales du Sud global des schémas d’organisation socio-économiques supposés plus performants sur le plan de la réduction des émissions de GES ou de leur séquestration. Des forêts tropicales sont sanctuarisées, tout en se prêtant à un tourisme fortement émetteur de CO2 ; des terres de culture ou de pâturage ancestrales font place à la plantation de forêts artificielles, composées le plus souvent d’espèces uniques ; la paysannerie est remplacée par une agriculture industrielle dite de précision, génératrice de crédits-carbone, qui suppose une forte mécanisation, l’endettement des agriculteurs et leur dépendance aux services commerciaux de l’agro-industrie. Les droits des peuples indigènes et des populations locales, notamment le nécessaire consentement préalable, sont constamment mis à mal (Exemples de Northern Kenya Grassland Carbon Project et de TotalEnergies au Congo).
S’appuyant sur les considérations énoncées ci-dessus, l’ASTM estime qu’il convient :
- de réduire de toute urgence les émissions de GES, ce qui implique une suppression progressive de la production d’énergies fossiles ;
- de mettre fin au mécanisme de la compensation-carbone en tant que solution basée sur le marché impliquant des droits d’émission ;
- de mettre en place des mécanismes de financements publics non volontaires reposant sur le principe de la responsabilité différenciée.